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La Léontine

Généalogie Familiale

Un 16 août à Hautefaye

 

EXTRAIT DE L'ARTICLE DE Adhémard LESFARGUES-LAGRANGE PARU EN 1877

"Le fanatisme avait accompli son œuvre. Le fétiche courait de grands dangers : il fallait trouver des coupables n'importe où et n'importe comment. Malheur à ceux qui ne portaient pas dans leur cœur le nom de Bonaparte ! Malheur à ceux qui étaient simplement soupçonnés d'indifférence ou qui mettaient la France au-dessus de l'aventurier couronné !

Telle était, en général, la situation des esprits dans les campagnes, lorsque le matin du 16 août 1870 M. Alain de Moneys quittait le château de Bretanges - qu'il ne devait plus revoir ! - pour se rendre à la foire annuelle de Hautefaye.                 .

Les populations rurales accusaient depuis quelques jours le clergé et les nobles de la Lizonne d'envoyer de l'argent aux Prussiens pour aider à renverser l'empereur. C'est sous l'impression de ces accusations insensées que s'ouvrit la foire du 16 août. Un ami de M. de Moneys, M. de X... , était en train de faire comprendre combien étaient fausses les accusations qui semblaient avoir crédit, lorsque M. de Moneys arriva pour prendre part à la discussion et soutenir également la fausseté des allégations qui tendaient à se propager.

La discussion était animée, mais rien ne faisait pressentir un dénouement aussi tragique. Quelques amis conseillèrent cependant, par prudence, à M. de X…, de quitter le champ de foire, pour clore la discussion qu'il avait entamée. M. de X... s'éloigna, sur ces conseils, avec la certitude que le calme se rétablirait après son départ, car il croyait avoir fourni seul le sujet d'exaltation qui régnait parmi la foule.

Mais la colère sourde qu'avait fait naître M. de X… grandit après son départ. On se repentait de l'avoir laissé s'échapper !... Il fallait cependant une victime !  M. de Moneys était là. Des bêtes fauves ayant la forme humaine se ruèrent sur le malheureux jeune homme et le renversèrent sur le sol aux applaudissements de la galerie et aux cris de : «Vive l'empereur ! »

La brigade de gendarmerie de Mareuil, se trouvant réduite de plus de moitié par suite des exigences de la guerre, ne pouvait plus fournir les hommes nécessaires au service des foires. Il n'y avait donc, à Hautefaye, aucun gendarme pour mettre à la raison ces forcenés qui s'étaient emparés de M. de Moneys, et qui ne le lâchaient que pour le livrer à d'autres mains plus barbares,

Telle était la fureur de cette horde sauvage, qu'elle menaçait de mort quiconque voulait porter secours à la victime. Il ne fallait pas y compter. Et plusieurs personnes acquirent la certitude que, des menaces, on n'aurait pas tardé à passer à l'exécution, car elles ne durent leur vie qu'à une fuite précipitée.

Cette question de secours était donc lettre morte. Du reste, nous le répétons, on se figurait, au début de ces brutalités, qu'il ne s'agirait que d'une forte bourrade de laquelle M. de Moneys sortirait meurtri, contusionné, mais bien vivant...

On traîna le malheureux jeune homme en différents endroits, tout en l'obligeant de crier : « Vive l'empereur ! »  Ce qu'il pouvait faire sans scrupule, car jamais il n'avait montré d'hostilité à l'empire. On le porta dans la maison du maire, qui fut impuissant à le sortir des mains qui le tenaient. Bien plus, on demandait à ce magistrat de conseiller les assassins dans leurs projets sanguinaires…  On porta ensuite la victime dans un tramail où l'on opérait le ferrage des bœufs.

M. de Moneys épuisé, perdant son sang par d'innombrables meurtrissures, comprenait bien que sa dernière heure était sonnée !... Ce n'était plus que d'une voix râlante qu'il criait : «Vive l'empereur ! » et il appelait sa pauvre mère avec des accents qui eussent peut-être touché le cœur d'un Cafre ou d'un Hottentot.

Les supplications, d'Alain de Moneys étaient, au contraire, un sujet d'excitation. On l'attacha dans le tramail à bœufs, où l'on fit le simulacre d'un ferrage, et on lui arracha les ongles des pieds et des mains, pendant qu'un chiffonnier lui enfonçait son crochet dans la tête et en détachait des lambeaux de chair ; d'autres lui enlevaient les cils et la barbe.

Ce martyre, dont il est impossible de raconter toutes les roueries cannibalesques, dura toute une après-midi, et la vie n'avait pas encore abandonné le corps du malheureux, qui ne demandait plus que la mort et sa mère !...

Une proposition, qui fut accueillie avec joie par la populace, fut celle-ci :

« Brûlons-le !... brûlons-le ! »

On se mit aussitôt en train d'exécuter cette proposition, et on traîna M. de Moneys dans une mare desséchée.

Là, on étendit de tout son long le patient qui n'avait plus de souffle, qui n'y voyait plus, mais dont les oreilles pouvaient entendre. On le couvrit d'herbes et de branches desséchées, et l'on mit le feu à ce bûcher improvisé pour réduire en cendres le corps d'un martyr !...

O France de 89, France grande et généreuse, France hospitalière !... voile-toi !... - Des Français, indignes de ce nom, étaient là, savourant avec une joie féroce les derniers moments, les dernières palpitations du cœur d'un Français qu'ils faisaient brûler vivant ; et quand ce cœur qui s'éteignait, obéissant à cet élan suprême et sacré de l'amour maternel, forçait des lèvres à demi carbonisées à jeter, avec un dernier souffle, un dernier adieu à une mère, c'étaient le rire et le sarcasme qui y répondaient.

Les scélérats qui formaient le cercle autour de cet horrible spectacle voyaient avec peine que la mort allait mettre un terme aux souffrances d'Alain de Moneys.

Ah ! Si ces misérables avaient pu prolonger cette existence pour continuer la torture !

Quelques-uns regrettaient de ne pas avoir un vase quelconque pour ramasser la graisse humaine que la flamme faisait suinter en bouillonnant sur le sol ; d'autres, à l'aide de tisons enflammés, s'employaient à rallumer les parties du bûcher qui menaçaient de s'éteindre.

Enfin! Le plus grand crime des temps modernes était consommé ! ... D'Alain de Moneys, il ne restait que des morceaux de membres : le reste était carbonisé !!...

De Moneys mort, la foire de Hautefaye fut finie. Les assassins regagnèrent leur domicile, ayant peut-être la conviction qu'ils avaient accompli un exploit digne d'éloges.

Hautefaye étant à l'extrémité de l'arrondissement de Nontron, se trouve, par conséquent, situé aux confins de l'Angoumois, qui avait fourni une bonne moitié de la population qui s'y était réunie le 16 août 1870...

Le soir de ce maudit jour, dans un rayon de dix lieues à la ronde, on apprenait avec stupeur que M. de Moneys avait été tué ; mais lorsqu'on sut que M. de Moneys avait été brûlé vif et les motifs sur lesquels était appuyé le crime, un cri d'horreur s'échappa de bien des poitrines ; les bras tombèrent sous l'effet d'un complet anéantissement, et, la douleur dans l'âme, on se demandait si l'on n'était pas sous les coups du plus affreux des rêves !... Mais c'était bien la réalité !...

...On sait que quatre des coupables eurent la tête tranchée sur le théâtre de leurs sauvageries ; mais on ignore peut-être des détails significatifs, sous la forme de propos tenus, après le crime, par des paysans habitant des localités assez éloignées de Hautefaye. "

 

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